Larves et puceron
Effets température - enrichissement/interactions espèces - omnivorie - structure réseau trophique

Vers une compréhension fonctionnelle des effets de la température et de l'enrichissement sur les interactions entre espèces, sur l'omnivorie et sur la structure du réseau trophique

Révéler les liens entre les traits fonctionnels des espèces, la force des interactions et la structure du réseau trophique est d'une importance primordiale pour comprendre et prévoir les relations entre la diversité et la stabilité du réseau trophique dans un monde en évolution rapide. Cependant, les effets interactifs des perturbations environnementales sur chaque espèce, les interactions trophiques et le fonctionnement des écosystèmes sont mal connus. Dans cette étude, nous avons combiné modélisation et expériences en laboratoire pour étudier les effets du réchauffement et de l'enrichissement sur un système tri-trophique terrestre. Nous avons constaté que la structure du réseau trophique est extrêmement variable et commute entre compétition par exploitation et omnivorie selon les effets de la température et de l'enrichissement des comportements alimentaire et de prédation des espèces. Notre modèle contribue à identifier les mécanismes expliquant le rôle des effets environnementaux en cascade à travers la chaîne alimentaire et comment la topologie des réseaux trophiques est influencée. Nous concluons qu'il est essentiel de considérer les facteurs environnementaux et la structure flexible du réseau trophique afin d'améliorer notre capacité à prédire les effets des changements globaux sur la diversité et la stabilité des écosystèmes.

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L'étude de la relation entre la diversité des espèces et la stabilité du réseau trophique a une longue et discordante histoire en écologie : la théorie prédit que les réseaux trophiques complexes sont moins stables que les simples, alors que cette stabilité est souvent observée dans les écosystèmes complexes. Récemment, des études théoriques comprenant des modèles plus réalistes ont montré que la stabilité dépend des traits fonctionnels des espèces (par exemple : la taille du corps, le comportement alimentaire), des forces d'interaction entre espèces et de la structure du réseau trophique. Cependant, les mécanismes reliant ces trois caractéristiques aux effets des changements globaux restent peu explorés. Compte tenu du taux d'extinction des espèces sans précédent, révéler l'influence des facteurs du changement global sur les espèces individuelles, les forces d'interaction des espèces et la structure du réseau trophique est une étape cruciale vers la compréhension fonctionnelle de la dynamique communautaire et de la diversité dans un monde en changement.

Les augmentations de la disponibilité des ressources (enrichissement) et de la température (réchauffement climatique) sont deux facteurs majeurs du changement de la biodiversité. Tous deux ont des conséquences importantes sur les individus, les populations et les communautés, mais leurs effets interactifs sur la distribution et la force des interactions entre les espèces dans les réseaux trophiques sont à peine connus. Jusqu'à récemment, la plupart des études empiriques ont examiné les effets des changements globaux sur la performance de l'organisme, la répartition des espèces et la phénologie sans considérer les interactions trophiques. Ce qui est étonnant car ces dernières influencent fortement la stabilité des écosystèmes et leur réponse aux changements environnementaux. Le but de cette étude était donc d'étudier les effets de la température et de l'enrichissement sur une chaîne alimentaire terrestre tri-trophique comprenant l'omnivorie, omniprésente dans la nature et jouant un rôle crucial car ayant tendance à augmenter la stabilité et la persistance du réseau trophique. Comprendre les effets des changements globaux sur l'omnivorie est donc d'une importance primordiale lors de la prévision des caractéristiques des communautés futures.

Les habitats naturels sont caractérisés par des variations à court terme et des tendances à long terme en fonction des conditions environnementales, ce qui peut influencer à la fois l'intensité d'interactions entre espèces et la dynamique de la chaîne alimentaire. Cependant, de nombreuses études théoriques supposent que l'environnement, le comportement de l'organisme, les interactions entre espèces ou la structure du réseau trophique (ou topologie) sont statiques. De telles simplifications sont utiles pour générer des modèles simples d'interactions écologiques (prédation, concurrence) mais ignorent la plupart du temps l'aspect dynamique des réseaux trophiques. Nous démontrons ici que le comportement de l'organisme, la force d'interaction des espèces et la topologie du réseau trophique dépendent fortement de facteurs environnementaux. Nos résultats montrent que l'enrichissement diminue la force d'interaction entre espèces et l'omnivorie, en provoquant un passage progressif de la chaîne alimentaire de l'omnivorie vers une exploitation concurrentielle. Toutefois, le réchauffement conduit à l'effet inverse en augmentant la force d'interaction entre espèces, ce qui, à long terme, pourrait déstabiliser tout le réseau. En transposant les comportements individuels à la communauté, nous avons identifié des liens déterminants entre le comportement de l'organisme, les interactions et la structure du réseau trophique. Cela suggère que la prise en compte de ces liens est une étape cruciale vers la compréhension des mécanismes des effets sur l'omnivorie des variations de l'environnement. Étant donné l'importance de l'omnivorie sur la stabilité des réseaux trophiques complexes, nos résultats ont des implications sur la relation entre diversité et stabilité.

Schema

Représentation schématique de quatre possibles réorganisations des échanges trophiques en fonction de l’augmentation de la température et de la quantité de ressources disponible. Le système tri-trophique observé et modélisé est composé d’un puceron (Myzus persicae Sulzer) se nourrissant sur des poivrons, d’un prédateur de pucerons (les petites larves de la mouche Aphidoletes aphidimysa Rondani) et d’un second prédateur capable de se nourrir aussi bien de pucerons que de larves de la petite mouche : des larves de la coccinelle (Coleomegilla maculata lengi Timberlake).

Flèches : direction du flux d'énergie à partir de la ressource à des niveaux trophiques supérieurs
P : prédateur omnivore (larve de coccinelle)
C : consommateur intermédiaire (larve de mouche)
R : ressource (puceron)

Légende photo : Deux petites larves d’A. aphidimysa s’attaquant à un jeune puceron M. persicae. © Arnaud Sentis