Alain Jauneau, l'esprit d'ouverture

Alain Jauneau, l'esprit d'ouverture

Le départ en retraite d’Alain Jauneau le 1er octobre 2019 est l’occasion de faire un retour en arrière sur son action durant 27 ans dans la création d’une plateforme d’imagerie végétale toulousaine au cœur de la FR AIB. Cette période correspond à une dynamique scientifique extraordinaire, évoluant de la microscopie à l’imagerie cellulaire, de l’observation à la validation fonctionnelle. Avec Solange Cassette, nous avons voulu mettre en lumière la rencontre heureuse entre une personne et des évolutions technologiques et scientifiques.

I. La création

Solange Cassette : Tu entres au CNRS en 1986 et travailles 12 ans dans une unité de l’Université de Rouen. Qu’est-ce qui t’a poussé à changer pour travailler en région toulousaine à l’IFR40[1] ?

Alain Jauneau : Après mon entrée au CNRS, pour des raisons de curiosité, j’avais déjà le souhait de ne pas faire toute ma carrière dans un seul et même endroit. Dans l’équipe à laquelle j’étais rattaché, j’ai eu la chance de toucher à pas mal de sujets et acquis un savoir-faire dans le domaine de la microscopie électronique et de la microscopie ionique. A partir de 1992, j’ai commencé à prospecter sans idées préconçues. La seule idée qui commençait à germer, c’était celle d’ouvrir à la communauté les savoir-faire acquis en microscopie. A l’époque, j’étais secrétaire du Groupe Français des Parois, je voyais ce qui se passait au plan national dans le domaine, je rencontrais des gens et découvrais de nouvelles thématiques. Parallèlement, il y avait des évolutions technologiques majeures dans le domaine de l’imagerie. Les chercheurs étaient friands des approches en imagerie.

Par l’intermédiaire de Marie-Thérèse Esquerré, j’ai contacté Raoul Ranjeva, Directeur du laboratoire SCSV[2]. Il m’a donné les coordonnées d’Alain Boudet que j’ai contacté et qui m’a fait part du projet de l’IFR40 en cours de finalisation. Il m’a invité à Toulouse pour me présenter et, printemps 1997, j’ai rencontré plusieurs membres du Comité de pilotage de l’IFR dont Michel Petitprez, Jacques Vasse, Jacqueline Grima-Petenatti. Alain Boudet a demandé une mobilité CNRS. A l’époque on ne parlait pas encore de plateforme, mais plutôt de service commun rattaché à la Fédération.

SC : Tu as  travaillé seul durant 3 ans et demi à l’IFR40. Est-ce que tu peux raconter ton arrivée et tes activités ?

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AJ : L’arrivée n’a pas été simple !  En congé au mois d’août dans la région et avant de remonter en Normandie, j’ai fait un saut à la DR14[3]. Ils venaient de recevoir le fax de Paris me nommant au 1er septembre 97 à Toulouse. Finalement je ne suis arrivé qu’en février 1998. J’avais des impératifs personnels liés à ma famille et des engagements professionnels avec le laboratoire et les personnes avec qui je travaillais à Rouen.

Le bâtiment actuel où est située la fédération n’était pas encore terminé. Les trois premiers mois j’étais à l’INRA, au LIPM[4]. Pendant cette période, je faisais surtout des entretiens avec l’ensemble des directeurs d’équipes du LIPM pour connaître leurs sujets, essayer de traduire leurs propos en termes de besoins en microscopie. C’était la mission première que m’avait confiée Alain Boudet. Puis, je suis allé trois mois à l’ENSAT Ecole, Avenue de Muret. J’y ai rencontré Christian Brière et Michel Petitprez, parmi d’autres. Là encore c’était surtout des entretiens.

Ensuite, je suis arrivé sur le campus de Paul Sabatier ; j’étais basé au laboratoire SCSV. Au début, j’ai beaucoup interagi avec l’équipe de mycologie de Robert Dargent. J’ai pris en charge le seul poste de microscopie de l’époque mis en commun et entrepris des expérimentations avec Carole Martinez, une étudiante de Robert Dargent et Christophe Roux et on a commencé à produire. Ça m’a fait du bien !

Puis avec Alain Boudet, on a fait un bilan et une évaluation des besoins en termes de matériels à acquérir et comment on allait monter l’activité. J’ai quand même eu une période de doute parce que d’abord j’étais un peu seul ! Heureusement j’ai rencontré des gens qui étaient vraiment dans la mouvance « mise en commun ». Il y avait une dynamique globale qui allait dans ce sens, c’était bien, c’était assez porteur. Ce qui m’a motivé était le côté challenge, un terrain vierge. Il y avait tout à faire. Je n’ai pas imaginé au début que cela allait prendre une telle ampleur. Après, c’est beaucoup d’investissement en temps et du travail !

II. La mise en route

Alain Jauneau

SC : Tu as eu rapidement des demandes des différents laboratoires ?

AJ : Ah oui, ils avaient des besoins d’imagerie ! Pendant longtemps, la microscopie, c’était mettre une belle image dans une publication, mais n’avait pas de valeur explicative, ne permettait pas de donner des informations supplémentaires. Certains ont vite compris que c’était un plus, une approche en tant que telle capable de fournir des informations supplémentaires, donner des explications. Cinq-six mois après mon arrivée, j’ai évalué ce qu’il y avait de disponible sur Toulouse et j’ai rencontré Philippe Cochard car le seul microscope confocal qu’il y avait sur Toulouse était dans son laboratoire[5]. Il avait un esprit d’ouverture et disait « Compte tenu des équipements et de la performance de ces équipements, il faut les ouvrir ».

Ensuite, il y a eu une démarche nationale qui s’appelait à l’époque RIO[6] pour recenser les structures en imagerie. La question était : « Est-ce que vous partagez du personnel, est-ce que vous partagez du savoir-faire ?». La notion de plateforme n’était pas très claire encore. Tout est parti de cette démarche dite RIO. J’avais répondu de mon côté, Philippe Cochard du sien. Nous avons reçu un avis nous répertoriant chacun en tant que plateforme, mais nous conseillant sur Toulouse de nous rapprocher pour monter une structure commune. En fédérant divers plateaux d’imagerie est née la plateforme TRI[7] et grâce aux succès aux appels d’offre, nous avons équipé progressivement les différents sites, puis regroupé les savoir-faire.

SC : Comment expliquer qu’après avoir regroupé puis grandi, la plateforme ne soit pas devenue une unité mixte de service ?

AJ : Dans TRI, il y a une unité mixte de service. Je pense que c’est un peu conjoncturel. TRI est une plateforme multi-sites, multi-tutelles avec des cultures et des historiques différents. Notre structure est informelle et elle fonctionne bien. C’est aussi le constat d’IBISA, d’autant que l’on a de bonnes relations et des réunions de travail communes avec les plateformes de Montpellier.

III. Le développement et l’arrivée successive des renforts

SC : En mai 2001, il y a l’arrivée d’Yves Martinez. Qu’est-ce qui change à ce moment-là ?

AJ : Beaucoup de choses ! Je ne pouvais plus satisfaire les demandes. Yves est arrivé dans le cadre d’une Noémie CNRS demandée par Alain Boudet. Pour lui c’était aussi un challenge ; il n’était pas du domaine et découvrait tout : la biologie, la microscopie…  Il a fait un effort énorme en termes de formation, d’investissement. C’est un des piliers de la plateforme, toujours prêt à rendre service.

SC : Donc vous êtes deux de 2001 jusqu’à septembre 2007 où arrive Cécile [Pouzet]

AJ : C’est Dominique Roby qui a monté le dossier [de mobilité Noémie]. « On est tombé sur une perle, Cécile !». Elle était déjà en charge d’un plateau de microscopie d’une unité INSERM à Paris et de suite opérationnelle avec sa bonne humeur et sa gentillesse qui la caractérisent. Rapidement elle a pris en charge un gros dossier, celui de la Qualité et de la certification ISO. Claude Chevalet, alors directeur de GenoToul[8], nous a encouragés dans cette démarche qualité. Stratégiquement, il fallait la mettre en œuvre mais cela m’intéressait peu. Cécile a donc pris ce dossier en charge.

SC : Ça marche si bien qu’en novembre 2010, Aurélie Le Ru arrive

AJ : Oui, même démarche. L’activité augmente et Aurélie est venue renforcer le dispositif. Elle était sur une plateforme de Toulouse au CBD[9]. Elle représente un apport supplémentaire de dynamisme et de compétences en instrumentation et analyse d’images. Toujours partante, pleine d’idées, une boule d‘énergie. C’est aussi Dominique Roby qui a monté le dossier de mobilité.

En ce qui concerne les directeurs, il faut les saluer. Ils nous ont tous accordé leur confiance. Point remarquable : «On m’a laissé la main ». On a eu vraiment carte blanche ! Lorsqu’on avait des besoins, ils répondaient présents. J’insiste sur le fait que la réussite de la plateforme est collective.

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SC : Et finalement en décembre dernier [2018] arrive Luc Bordes, dernière recrue.

AJ : En effet, et entre temps, la plateforme bénéficiait de la participation de Marie-Christine Auriac du LIPM qui avait renforcé la structure.

IV. La formation et les interactions avec les chercheurs

SC : Sur le volet « formation des utilisateurs », ce n’est pas évident de faire de la transmission. On peut avoir des savoir-faire, mais il y a des personnes qui ne savent pas transmettre.

AJ : La formation pour accéder aux équipements et les utiliser est imposée, ce qui a permis de bien diffuser les savoir-faire. On montre ce qu’on peut faire avec l’appareil sur l’application, sur le sujet biologique que la personne est en train d’étudier. « Sinon c’est ésotérique, c’est hors-sol ! » A chaque nouvel appareil, était associées de courtes sessions de formation pour l’ensemble des personnels. Durant presque dix ans, on a organisé des formations sur une semaine où l’on couplait technologie et application. On faisait intervenir au maximum les chercheurs qui venaient présenter leurs thématiques, expliquer leur histoire. Il y avait un enrichissement mutuel.

SC : Et les interactions avec les chercheurs ?

AJ : Je les ai vraiment vécues comme des partages permanents. C’était super enrichissant ! En résumé j’ai été étudiant toute ma vie. J’ai appris toute ma vie en fait. J’espère que c’est réciproque et que je leur ai apporté des choses. De toutes les façons, notre raison d’être c’est les chercheurs. Tout ce qu’on a mis en place ne peut continuer à fonctionner sur le long terme que si les interactions sont fortes et si les personnels des différentes plateformes, qu’elles soient à Toulouse ou ailleurs, font l’effort intellectuel de s’investir dans les problématiques biologiques qui nous sont soumises. En résumé, les plateformes ne doivent pas être hors sol.

V. Le passage de relai et la vision pour l’avenir

AJ : Nous avions mis en place un outil que je considère performant, efficace, fonctionnel et dont l’ensemble de la fédération je pense peut se féliciter. Il faut qu’on reste dans cette dynamique d’ouverture, d’investissements maximum en termes de personnels auprès des collègues. On est sur une partie technologique qui se complexifie de plus en plus. Il faut à tout prix que, sur les thématiques biologiques, on fasse l’effort intellectuel nécessaire pour pouvoir assurer le passage de la thématique à la technologie.

Donc je m’étais dit qu’il fallait à tout prix assurer la transition pendant les quelques années avant que je parte. Cécile Pouzet a pris la relève et, depuis plus de deux ans, gère toute seule et très bien la plateforme.  Concernant TRI, c’est désormais Olivier Gadal qui pilote la plateforme avec Jacques Rouquette et Cécile. Les outils sont fonctionnels et cela évolue.

SC : Quelle vision pour l’avenir selon toi ?

AJ : Pour l’avenir, je suis assez confiant, ça va continuer parce qu’on a des personnes qui sont compétentes et investies.

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Je tiens à souligner aussi les très bons rapports que l’on a établis avec les collègues de Montpellier, de Perpignan et de Banyuls. On est vraiment dans un même type de philosophie de partage et de collaboration.

Les seuls nuages que je vois concernent les aspects administratifs. Les démarches administratives deviennent de plus en plus lourdes, je dirais même assez insupportables et chronophages. Certaines me paraissent hors-sol, il ne faut pas hésiter à le dire… et l’écrire.

Jusqu’à maintenant on a bénéficié de soutien administratif de la part de la DR du CNRS et aussi de la Région. [Hors entretien, à propos des procédures et démarches administratives, Alain Jauneau souligne également le soutien essentiel de Sophie Guilhem, administrateur de la FR].

 

VI. En épilogue

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SC : Et si c’était à refaire ?

AJ : Ah, je refais sans problème ! Je repars sans problème, je resigne !  Cela serait avec certaines erreurs à éviter, mais bon moi je resigne à cent pour cent. Le CNRS et nos structures constituent un cadre privilégié de travail. C’était une belle aventure et qui continue. Aucun souci !

SC : J’ai vu que tu avais passé deux tiers de ton temps au CNRS en poste à l’IFR40 et la FRAIB, 22 ans.

AJ : Oui. Vraiment c’est une belle aventure à vivre, d’autant plus belle qu’elle est collective. J’ai beaucoup donné mais tellement reçu en retour. Au moins sur la philosophie, je ne changerais rien, ça c’est clair !

  • [1] IFR40 : Institut Fédératif de Recherche « Signalisation Cellulaire et Biotechnologie Végétale » créé en 1996, devient ensuite la FRAIB 3450 : Fédération de Recherche « Agrobiosciences, Interactions et Biodiversité »
  • [2] Laboratoire SCSV : « Surfaces Cellulaires et Signalisation chez les Végétaux », devenu LRSV « Laboratoire de Recherches en Sciences Végétales »
  • [3] DR14 : Délégation Régionale du CNRS Occitanie-Ouest (ex Midi-Pyrénées)
  • [4] LIPM : « Laboratoire des Interactions Plantes Micro-organismes »
  • [5] le CBI : Centre de Biologie Intégrative
  • [6] RIO, devient IBISA : Infrastructures BIologie Santé et Agronomie (Groupement d’Intérêt Scientifique)
  • [7] TRI : Toulouse Réseau Imagerie
  • [8] GenoToul : GIS qui coordonne les plateformes toulousaines en sciences du vivant
  • [9] CBD : Centre de Biologie du Développement

Date de modification : 06 juin 2023 | Date de création : 30 octobre 2019 | Rédaction : Solange Cassette