Carole Pichereaux : l’expertise en protéomique

Carole Pichereaux : l’expertise en protéomique

En 2023, il y aura 20 ans que Carole Pichereaux exerce à la Fédération ses talents de protéomicienne. Ce néologisme illustre la haute technicité et les compétences nécessaires : biochimiste des protéines, massiste, bioanalyste. Ses travaux sont réalisés à la plateforme ProteoToul* de l’IPBS, dirigée par Odile Schiltz, qui accueille Carole pour participer aux projets de recherche dans le domaine des agrobiosciences, tant sur plantes que sur microorganismes. A travers ce portrait, vous lirez l’implication de Carole dans l’essor et le développement des moyens technologiques en protéomique proposés par notre Fédération*. Ces évolutions ont nécessité des changements d’organisation pour répondre au mieux aux besoins des équipes de recherche de la FR AIB.

"Je connais Carole depuis 2004 et nous nous tutoyons. Aussi ai-je gardé le « tu » dans mes questions car la vouvoyer me serait apparu comme une perte d’authenticité." Solange Cassette

Vers les biotechnologies végétales

Solange Cassette (SC) : Tu poursuis des études en Sciences biologiques et obtiens le Diplôme Universitaire de Responsable (D.U.R) en Biotechnologies Végétales. Qu’est-ce qui t’attire dans la biologie, pourquoi cette spécialité ?

Carole Pichereaux (CP) : J’ai toujours été passionnée par la biologie. J’ai commencé par deux premières années en médecine sans succès, puis je me suis réorientée vers le DEUG B Biologie de l’université Paul Sabatier à Toulouse. Après une licence de biochimie, j’ai obtenu un Diplôme Universitaire de Recherche en  Biotechnologies Végétales délivré par  l’ENFA[1] et l’université Paul Sabatier. Cette formation a été le point de départ de ma carrière scientifique dans le monde de l’Agro-biologie. J’ai ensuite décroché mon premier poste à l’INRA de Montpellier[2], dans une équipe qui venait d’acquérir un spectromètre de masse et pour laquelle j’allais faire mes premiers pas dans une discipline émergente : la Protéomique.

De la protéine à la protéomique

Spectromètre de masse Orbitrap Exploris 480 Thermo-scientific haut débit

Spectromètre de masse Orbitrap Exploris 480 Thermo-scientific haut débit.

Photo : C. Pichereaux

SC : Le protéome est un mot nouveau utilisé par l’Australien Marc Wilkins en 1994. Pour le néophyte et en termes simples, de quoi s’agit-il ?

CP : Le protéome est l’ensemble des protéines qui sont exprimées par le génome dans une cellule, un tissu, un organe ou un organisme dans certaines conditions et à un moment donné. Les protéines sont au protéome ce que les gènes sont au génome. L’image très parlante que je donne en cours est celle de la chenille et du papillon : voici deux organismes présentant le même génome et deux protéomes différents ! Le génome est la carte génétique de l’organisme ; le protéome représente l’ensemble de l’expression des protéines.

SC : De même, la protéomique est une discipline récente dont le terme est inventé en 1997 par analogie à celui de génomique. Peux-tu brièvement nous la décrire ? En quoi consiste une analyse protéomique ?

CP : En 2000, j’ai eu la chance de travailler au moment propice de l’émergence de cette discipline. La protéomique permet, avec des outils spécifiques, d’analyser le protéome. Non seulement on identifie les protéines d’un organisme à un état et à un moment donné, mais on peut également les caractériser : « Portent-elles des modifications ? ». Nous sommes aussi amenés à les quantifier afin de réaliser des analyses comparatives différentielles entre échantillons. Une analyse protéomique est constituée de trois étapes distinctes : la préparation biochimique des échantillons, l’analyse en spectrométrie de masse et enfin l’étape de bio-informatique pour identifier, caractériser et quantifier les protéines d’un échantillon, avec des logiciels dédiés.

SC : Peux-tu illustrer par un cas concret ?

CP : Oui, par exemple prenons une plante modèle comme Arabidopsis thaliana, dont le génome est connu. Nous avons la possibilité d’identifier et d’analyser les protéines d’un organe cible de cette plante telle la racine, la tige, ou la fleur... Imaginons la plante dans deux contextes différents : une croissance en condition de stress hydrique et en condition normale. Après extraction des protéines de l’organe choisi dans les deux conditions et selon des protocoles bien définis, les échantillons seraient analysés par spectrométrie de masse. Après retraitement des données, on pourrait comparer la liste des protéines présentes dans chaque condition, voir leur abondance et déterminer ainsi les protéines candidates qui pourraient avoir un rôle dans la sensibilité ou la résistance à la sécheresse.

Début de carrière

SC : En 2000, tu intègres la recherche scientifique publique en CDD successifs sur deux programmes, l’un à Montpellier, l’autre à Toulouse. Qu’est-ce qui t’amène à ce choix ?

CP : J’ai fait le stage du cursus ENFA-UPS dans le privé, -au Groupement de recherche de Lacq à Pau-, en biochimie humaine. Il s’agissait de screener des inhibiteurs potentiels d’enzymes à visée thérapeutique (antidépresseurs et anti-inflammatoires). L’équipe dans laquelle j’étais travaillait essentiellement pour Sanofi et a été rapatriée sur Toulouse la même année en 1998. Il y a eu des compressions de personnels : ils n’ont pas pu me garder. J’ai alors prospecté et envoyé des curriculum-vitae un peu partout, dans le privé et le public. Six mois plus tard j’ai décroché un CDD au laboratoire BPMP de Montpellier pour trois ans, dans le cadre du projet Génoplante. Ce projet portait sur l’analyse du protéome d’Arabidopsis thaliana soumis à des contraintes trophiques. J’étais alors en charge de la préparation des échantillons, en gel 2D, envoyés en spectrométrie de masse. Je n’y suis restée qu’un an car j’ai ensuite postulé sur un poste qui s’ouvrait à Toulouse et qui était, lui, spécialisé en spectrométrie de masse. De 2001 à 2003, j’étais ingénieur en CDD pour la plateforme protéomique de l’IPBS[3] de Toulouse sur un contrat ARC[4].

Parcours à la Fédération : l’IFR40 puis la FR AIB

SC : En 2003, par concours externe, tu intègres l’IFR40 « Signalisation cellulaire et biotechnologie végétale »[5] comme Ingénieure en protéomique. Explique-nous ton arrivée. Comment est organisée la protéomique à ce moment-là ? Quels sont tes champs d’action durant cette période ?

CP : Alain Boudet qui dirigeait l’IFR avait souhaité créer une plateforme protéomique dédiée à l’agronomie. Elle était dirigée par Michel Rossignol, Ingénieur de recherche. Il y avait aussi Gisèle Borderie, Ingénieure à 50% sur la plateforme et 50% au LRSV[6]. Nous prenions en charge tous les projets protéomiques de l’IFR et de laboratoires d’agro-bio, qu’ils soient locaux ou nationaux.

A l’époque, nous avions deux équipements -MALDI-TOF et QTRAP 2000-, le premier plutôt dédié aux protéines purifiées, le second aux mélanges plus complexes. Les tâches étaient partagées : Gisèle Borderie et moi préparions les échantillons pour les analyser en spectrométrie de masse. Je faisais aussi, comme au BPMP, de l’analyse d’images de gels 2D, très en vogue à l’époque. Michel Rossignol assurait la gestion globale des projets et de la plateforme ainsi que la rédaction des résultats pour les publications.

Mémoire de projets marquants

Boîtes petri arabettes gravité 0

Effet de l’absence de gravité terrestre sur la croissance de plantules d’arabette

C3 & C4 : Croissance de plantules d’Arabidopsis soumises à 1G
RPM3 & RPM4 : Croissance de plantules d’Arabidospsis soumises à 0G
RPM = Random Positionning Machine ou Clinostat 3D est un système
qui permet de simuler un effet anti-gravitationnel dans toutes les directions

Photo : A. Graziana & C. Mazars, LRSV

SC : Les premiers projets captivent souvent dans une carrière professionnelle. A cette époque, en as-tu un ou plusieurs qui t’ont marquée ou particulièrement inspirée ?

CP : Oui, plusieurs projets m’ont marquée. Je me souviens de l’un d’eux au LRSV avec l’équipe de Christian Mazars, un projet en collaboration avec le CNES visant à envoyer dans l’espace, à bord de l’ISS[7], des plantules d’Arabidopsis thaliana pour étudier leur protéome membranaire soumis à la microgravité. Les tests étaient réalisés dans l’espace ou sur terre. L’étude[8] a démontré que certaines protéines étaient effectivement affectées par l’apesanteur, notamment celles impliquées dans des réponses au stress.

J’ai aussi en mémoire un autre projet, en collaboration avec l’ENSAT[9], complètement différent et beaucoup plus appliqué sur des analyses de foie gras. Nous devions analyser leur capacité de transformation, rechercher des marqueurs permettant de déterminer, en amont et suivant la fonte lipidique, leur destination : fabrication d’un foie gras brut ou transformation en aliments dérivés. C’était un projet original. Plusieurs articles[10] sont parus dans des revues scientifiques ; l’étude a aussi été relayée dans des revues plus classiques ou grand public.

Relocalisation à la plateforme de l’IPBS de Toulouse

SC : Puis en juillet 2007, tout en restant rattachée à l’IFR40, tu rejoins avec Michel Rossignol la plateforme de protéomique de l’IPBS en convention d’accueil. Pourquoi cette nouvelle localisation ?

CP : Deux raisons principales à ce changement. D’abord des raisons matérielles : les spectromètres de masse et l’informatique étaient trop éloignés de la plateforme principale de l’IPBS pour assurer leur bon fonctionnement et la maintenance. L’IFR était le site partenaire du site principal de l’IPBS. En 2004-2005, nous étions également liés par la mise en place de la démarche qualité (Norme ISO 9001-2000). Ensuite pour des raisons humaines et d’organisation, il a été nécessaire de regrouper les équipes sur un seul et même site.

Élargissement des responsabilités

SC : Depuis le départ en retraite de Michel Rossignol en 2013, tu gères seule la partie Agrobiosciences pour la Fédération. Quelles sont les thématiques scientifiques sur lesquelles tu apportes ton expertise et comment s’organise désormais ton travail et les choix des projets ?

CP : Les thématiques scientifiques sont toujours diverses. Annuellement, je collabore à une douzaine de projets. Après le départ de Michel, j’ai pris en charge la totalité des aspects protéomiques des projets, depuis la première sollicitation par les équipes –en organisant une réunion préliminaire pour discuter du projet, évaluer sa faisabilité et décider des stratégies à mettre en œuvre– jusqu’à leur analyse et leur valorisation.

De l’utilité d’enseigner l’analyse protéomique

SC : Tu enseignes l’analyse protéomique à l’Ecole Doctorale Biologie, Santé, Biotechnologies. La transmission dans ton domaine est-elle une chose indispensable ?

CP : J’aime beaucoup partager, expliquer ce sur quoi je travaille ! En tant qu’ingénieure, une de mes missions est de transmettre les bases théoriques de la protéomique et la spectrométrie de masse. Dans le cadre de mes interventions auprès des étudiants, j’aborde aussi l’aspect du travail en plateforme. Enseigner s’avère chronophage et demande de la disponibilité, mais j’ai toujours à cœur de transmettre mon savoir.

Retour sur l’évolution du métier d’ingénieur en protéomique

Spectromètre de masse Tims TOF SCP Bruker

Spectromètre de masse Tims TOF SCP Bruker - Photo : C. Pichereaux

SC : L’année prochaine tu fêteras tes vingt ans à la Fédération comme Ingénieure en protéomique. Quelles sont les grandes évolutions que tu as constatées dans ce domaine ? Connaissances, matériels…

CP : Ah oui, vingt ans en arrière ! Effectivement, le travail qu’on réalisait à l’époque et maintenant est complètement différent, même si les bases restent les mêmes. Il y a eu une évolution considérable en termes d’instrumentation. Au début, sur les premiers spectromètres de masse, on identifiait deux ou trois protéines par échantillon, voire cinquante protéines dans un mélange complexe.

Maintenant, cinq-six mille protéines peuvent être identifiées dans un seul échantillon car les spectromètres de masse et les méthodes préparatives et analytiques sont de plus en plus performantes. D’autre part, l’analyse a beaucoup évolué. Hier, on dressait seulement des listes d’identification de protéines. Aujourd’hui, l’analyse statistique est indispensable pour interpréter les données sur des milliers de protéines identifiées.

Les outils de bio-statistique et d’informatique au sens large sont cruciaux pour nos analyses de projets, mais aussi pour l’ensemble de notre activité, ce qui n’était pas notre cœur de métier au début. L’informatique, en constante évolution, a tout changé !

Epilogue

Publications C. Pichereaux

Publications C. Pichereaux

SC : Enfin, quelle en est ta vision pour les cinq prochaines années ?

CP : Concernant l’instrumentation, les spectromètres de masse ont atteint un niveau de performance très élevée et génèrent des volumes considérables de data. Même si ces instruments nous permettent d’acquérir des données de qualité et d’aller vers des identifications et des quantifications plus robustes et fiables, le traitement de ces données reste le point crucial qui nécessite de développer des outils bio-informatiques dédiés.

Une des nouvelles applications pour l’avenir est de travailler sur des quantités de matériel de plus en plus faibles, voire pouvoir identifier des protéines à partir d’une seule cellule (single cell). Nous avons acquis une nouvelle machine pour cela : le Tims TOF SCP de Bruker.

L’enjeu de ces prochaines années restera de développer des stratégies, des logiciels et des ressources informatiques adaptés à l’évolution des machines pour répondre au mieux aux questions biologiques posées.

Et, si on se détache du contexte purement technique de mon activité, l’enjeu de ces prochaines années dans mon activité protéomique serait de continuer dans la voie de la compréhension du fonctionnement des plantes, quant à leur biologie, leur développement ou leur adaptation à de nouveaux environnements. Continuer dans la voie de l’étude de leur interaction avec des micro-organismes, qu’ils soient pathogènes ou symbiotiques, pour comprendre les mécanismes qui se mettent en place.

Plus globalement, la protéomique est un outil qui permet de mieux comprendre le fonctionnement des systèmes complexes, voire des écosystèmes. La biodiversité est affectée par les changements de l’environnement. Comprendre l’incidence de ces changements sur la biologie des plantes et de leur cortège microbien – mais aussi sur la biologie des animaux, comme les butineurs – pourrait être un des enjeux de l ’ « Agro-protéomique », telle que je la perçois, et ce de manière à agir et s’adapter… D’ailleurs je vois déjà quelques projets et de nouvelles sollicitations dans ce sens !

Voir aussi

[*] Voir l'offre protéomique de la FR AIB et Proteotoul

[1] ENFA, devient Ecole Nationale Supérieure de Formation de l'Enseignement Agricole de Toulouse-Auzeville - désormais ENSFEA

[2] BPMP : Laboratoire de Biochimie et de Physiologie Moléculaire des Plantes, Equipe de M. Rossignol

[3] IPBS : Institut de Pharmacologie et de Biologie Structurale, situé à Toulouse, qui intègre une plateforme de protéomique dirigée par Odile Schiltz.

[4] ARC : Fondation pour la recherche sur le cancer  fondation-arc.org
[5] Sur l’histoire de l’IFR40, devenu la FR AIB, lire le portrait de Alain-Michel BOUDET

[6] LRSV, Laboratoire de Recherche en Sciences Végétales, (ex-SCSV)

[7] ISS : International Spatial Station (Station Spatiale Internationale)

[8] Sources : 1. Microsome-associated proteome modifications of Arabidopsis seedlings grown on board the International Space Station reveal the possible effect on plants of space stresses other than microgravity. Doi: 10.4161/psb.29637 & 2. Microgravity induces changes in microsome-associated proteins of Arabidopsis seedlings grown on board the international space station. Doi: 10.1371/journal.pone.0091814

[9]ENSAT : Ecole Nationale Supérieure Agronomique de Toulouse

[10] Sources : 3. Proteomic analysis of two weight classes of mule duck "foie gras" at the end of an overfeeding period. Doi: 10.3389/fphys.2020.569329. 4. Identification by proteomic analysis of early post-mortem markers involved in the variability in fat loss during cooking of mule duck "foie gras". Doi: 10.1021/jf203058x

Date de modification : 06 juin 2023 | Date de création : 21 septembre 2022 | Rédaction : Solange Cassette - Montage & webmaster : ComScience