Alain-Michel Boudet

Alain-Michel Boudet

Alain-Michel Boudet, fédérer et rassembler les forces

La récente évaluation de la FR AIB par l’HCERES a été l’occasion de rappeler l’évolution de notre structuration. Nous avons souhaité en retracer les premiers pas en demandant à son initiateur, fondateur et premier directeur, le professeur Alain-Michel Boudet, de se replonger dans cette période.

Aux origines

Solange Cassette (SC) : En 1994, vous achevez votre 3ème mandat comme Directeur du laboratoire « Signaux et messages cellulaires chez les végétaux »1. La même année, le programme pluriannuel des Instituts Fédératifs de Recherche (IFR) est mis en place. Est-ce aussi cette année que vous envisagez de créer l’Institut Fédératif de Recherche « Signalisation cellulaire et biotechnologie végétale » ? Quelles sont les raisons qui vous y poussaient ? Quels objectifs visiez-vous ?

Alain-Michel Boudet (AMB) : Je ne peux pas vous certifier si c’est cette même année ou dans la continuité. Personnellement, j’ai toujours été un adepte de la transversalité et du fédéralisme - fédérer et rassembler des forces - donc cela me paraissait assez évident. Ce n’était pas facile à cette époque car il n’y avait pas l’état d’esprit actuel pour les regroupements, les actions collectives. Les personnes extérieures au site devaient faire un effort significatif de mobilité. Il a fallu des personnalités entraînantes pour convaincre.

Et puis j’ai toujours eu l’intention de créer des structures globales, fédératives : pour exemples le premier Master international sur Toulouse « Agrofood Chain », toujours ouvert, rassemblait plusieurs établissements toulousains ou l’Institut des Technologies Avancées en Sciences du Vivant sur le site du Cancéropole. Cela allait dans le sens de mon analyse, de ma vision.

Dialoguer pour se connaître, engager les actions, affermir la structure

SC : De 1996 à 1999 vous effectuez votre 1er mandat de Directeur de l’IFR40. Comment se met en place le projet ? Quelles sont les actions prioritaires que vous menez ?

AMB : Je les avais retracées dans mon article sur les « Enjeux et atouts des instituts fédératifs de recherche »2. D’abord on a mis en place des groupes de travail et organisé les services communs. Puis on a commencé à développer une politique de communication externe et interne : programmation de séminaires, ateliers thématiques. Par la suite, en 2000, on a organisé un colloque international « New frontiers in plant sciences and plant biotechnology » qui a été un grand succès. Les projets passent par le dialogue, d’abord pour mieux se connaître puis, progressivement, pour créer des groupes de travail structurés capables d'engager des actions.

SC : Au cours de ces 4 premières années, sentez-vous une montée d’intérêt pour ce projet fédératif de la part des chercheurs des différentes unités ?

AMB : Au départ pas forcément...  Il faut dire que nous étions une centaine de personnels du laboratoire SMCV qui venant de s’installer dans de nouveaux locaux3, sur le campus INRA où les gens avaient leurs habitudes. De ce fait, il y avait au début beaucoup d’instabilité mais l’intérêt n’a fait qu’augmenter par la suite et le projet de regroupement s’est avéré fécond.

SC : De 2000 à 2003 vous accomplissez votre second mandat de Directeur de l’IFR40. Ces 4 années sont-elles des années de consolidation ? D’ajustements ? Mettez-vous en œuvre des évolutions ?

AMB : Consolidation, amplification des actions, visibilité accrue de l’IFR à tous les niveaux : interne, local, national, international même. J’étais à l’origine des brochures de présentation de l’IFR qui étaient originales. On a fait des rapports d’activité écrits en anglais qui se sont révélés attractifs. Les services communs et en particulier l’imagerie ont été consolidés.

Portée d’un IFR sur la communauté scientifique

SC : Selon vous quels sont les avantages apportés par l’IFR ?

AMB : Il y a tout l’impact positif de l’IFR sur l’aspect institutionnel. Cela conduit les différentes structures - INRA, CNRS, Université, INP - à s’entendre plus facilement puisqu’elles ont quelque chose en commun. Cela permet des actions de plus grande envergure, à plus grande échelle car il y a une coalition d’organismes. Je peux vous faire une confidence : durant l’année 2005, lors d’une réunion à Bordeaux, j’avais lancé l’idée d’un grand institut des sciences végétales « sans murs », regroupant les forces de Bordeaux, Toulouse et Montpellier. Cela aurait été quantitativement l’une des plus importantes structures mondiales dans la discipline !

Sciences et biotechnologies végétales : la révolution génomique

SC : En mars 2000, vous organisez le colloque « Nouveaux horizons en sciences et biotechnologies végétales ». Presque 20 ans plus tard, selon vous, quels sont les nouveaux horizons dans ce domaine ?

AMB : La science procède pas à pas ; à chaque moment il y a un état de la science qui permet d’envisager des applications. Il est évident que l’état actuel de la science permet d’envisager des applications ou des transferts de compétences qui n’étaient pas possibles à l’époque. Par exemple, il y a eu entretemps la grande révolution génomique qui a conduit à toutes ces étapes de séquençage du génome. Et maintenant la modification des génomes par des techniques comme l’édition du génome. Je crois que c’est la révolution génomique qui a été la plus marquante depuis ces années 2000.  Et aussi tout ce qui concerne la signalisation avec les techniques moléculaires et les techniques d’imagerie.

Communication scientifique : former, développer l’esprit critique

SC : En 2002, vous éditez un recueil « L’amélioration des plantes, base de l’agriculture »4, 8 questions/ réponses pour, je vous cite : « améliorer la relation entre le monde scientifique et le public » et « éviter que s’installe une incompréhension ou un décalage entre initiés et exclus de la connaissance ». Pensez-vous que cette initiative a permis à l’époque de réduire le décalage ?

AMB : Non, je ne pense pas. Le problème de la communication scientifique actuellement est un problème crucial car les à priori se développent. Aujourd’hui, il y a constamment des fausses nouvelles, ces infox qui sont propagées. L’agenda de Lisbonne était « L’Europe de la connaissance » : on peut s’inquiéter ! Pourtant, la démarche que vous citez partait d’un objectif très généreux ; je ne le regrette pas du tout et je le referai si c’était à refaire. Mais le résultat est certainement mineur.

SC : Quelles actions seraient plus pertinentes d’après vous ?

AMB : Je crois que ce qui est le plus pertinent est la formation dès le plus jeune âge. C’est ce que je fais actuellement d’ailleurs en contribuant à la formation continue des professeurs du primaire et du secondaire. Il faut faire acquérir aux gens l’esprit critique, la capacité d’analyser une affirmation, une position, surtout par rapport à des informations qui arrivent de tous les côtés.

SC : Est-ce que vous pensez que l’esprit critique est moins développé actuellement que ça a pu l’être à une certaine époque ?

AMB : Oui, je le pense. La différence avec l’époque précédente c’est qu’on était confronté à sa propre réflexion. Maintenant on est confronté à la manipulation par des outils de communication, de médiation, d’information qui désorientent et introduisent un phénomène de pensée unique. Ce phénomène nouveau annihile l’esprit critique car ce n’est pas souvent un débat contradictoire.

Élargissement des thématiques de recherche

SC : L’IFR40 s’est agrandi et mué en 2010 en Fédération de Recherche « Agrobiosciences, Interactions et Biodiversité » (AIB), incluant des thématiques en écologie notamment. Imaginiez-vous cette expansion hors des biotechnologies végétales ? Qu’en pensez-vous ?

AMB : Non, à l’époque je ne l’imaginais pas parce que c’était déjà un gros effort de fédérer des forces qui étaient relativement centrées sur un domaine. Je pense que c’est une bonne chose d’avoir un raisonnement plus global, plus intégré, à condition que ça n’affaiblisse pas les actions par trop de dilution. Mais je trouve cela très bien, d’ailleurs je suis favorable à l’ouverture récente5 vers l’agronomie et l’agroécologie.

La solution est d’utiliser les éléments positifs de toutes les approches et de les combiner. Les situations sont trop graves et trop difficiles maintenant pour qu’on se prive de solutions.  Simplement, il faut faire de la « combinatoire » et donc arriver à des compromis.

Je pense que les démarches qui visent à faire des ponts entre les disciplines pour mieux se comprendre et pour agir ensemble dans une structure commune est l’idéal, car cela conduit en particulier à progressivement réduire les problèmes de langage.

Longévité de la structure

SC : Cette structure fédérative achèvera son 6ème mandat fin 2020 et totalisera une durée de 25 ans. Le renouvellement vient d’être demandé pour cinq années, ce qui porterait à 30 ans son existence. Quelle est votre réflexion en regard de cette longévité ?

AMB : Ma première réflexion est de dire que, tout en ayant changé d’intitulé « IFR » à « FR », c’est une formule sans doute qui a porté des fruits et convaincu puisque cela a été maintenu. Je pense que les institutions et les responsables sont convaincus de l’intérêt de ce regroupement. Cela montre aussi que le tissu local a fait preuve de suffisamment d’esprit de responsabilité pour poursuivre l’aventure, sans accroc, sans dissension, sans querelle interne. Cela prouve une certaine maturité.

Épilogue

AMB : Nous avons été l’un des premiers IFR créés. Je remercie les directions successives qui se sont employés à maintenir l’opération en vie ainsi que les personnels qui ont joué le jeu. Tout ce qui peut être fait par la Fédération, amplifier les dialogues, favoriser la compréhension mutuelle de langages parfois un peu différents... conduit à des avancées. L’apprentissage du langage de l’autre est quelque chose de très important. Surtout quand on a une structure aussi vaste que celle qui associe la biochimie, la biologie moléculaire et l’écologie. Il faut faire des efforts dans ce sens, il faut de la bienveillance, de la tolérance, de la patience. Je souhaite bon succès dans le futur à la FR et à ses différentes initiatives.

  1. SMCV qui deviendra ultérieurement le « Laboratoire de Recherche en Sciences Végétales » (LRSV)
  2. A-M. Boudet, « Enjeux et atouts des instituts fédératifs de recherche : un exemple toulousain», CNRS, Sciences de la Vie, Lettres des Départements Scientifiques, BIO N° 89, novembre 2000, pages 12-13.
  3. En 1999, le SMCV s’installe dans de nouveaux locaux construits par l’Université Paul Sabatier de Toulouse sur le campus INRA d’Auzeville-Tolosane.
  4. A-M. Boudet, « L’amélioration des plantes, base de l’agriculture », IFR40, décembre 2002.
  5. Forum interne de la FRAIB, 23-novembre-2018 : présentation du laboratoire AGIR, UMR INRA-INPT

Date de modification : 06 juin 2023 | Date de création : 05 février 2020 | Rédaction : Solange Cassette (portrait) et Christophe Roux (Introduction)